Gruyère Installés dans de moelleux sofas dépareillés, des clients en pantoufles sirotent un verre près d’un poêle suédois, entre deux plats de tapas.

D’autres, debout, fouillent dans des bacs à vinyles.

Depuis la mi-décembre, l’auberge Goya Onda, à Morlon, est le lieu de soirées feutrées où se dégustent musique sur platine et petits plats.

«Les grands disques, ce sont les 33 tours», rappelle le tenancier Flurin Mathieu aux clients du soir, invités à passer euxmêmes les disques. Ce collectionneur de vinyles donne quelques consignes sur la façon de manipuler l’un ou l’autre spécimen d’une sélection de 3000 disques que le mélomane a mis à disposition de ses clients.

Echo japonais

Car le geste de guider le bras d’un tourne-disque de sorte que l’aiguille se pose entre les sillons de deux chansons n’est plus forcément familier. Voire étranger aux plus jeunes, biberonnés à la musique en streaming. «Ici, les gens discutent entre eux sur leurs choix musicaux. L’approche est humaine et crée une dynamique», défend celui qui a souhaité prendre à contrepied l’ère du tout numérique. Flurin Mathieu s’est inspiré des Listening Bars japonais, qui ont émergé dans les années 1950.

«Mais au Japon, on a souvent l’image du patron qui écoute du rock prog et qui met ses propres disques.» Ici, c’est le client qui passe les disques. Et la formule séduit.

«C’est chouette. On parle avec les autres, ce que l’on ne fait pas habituellement au restaurant», s’enthousiasme Valérie Moret Adler. Cette habitante de La Tour-de-Peilz (VD), née dans les années septante, indique avoir repéré un album de Dire Straits et d’autres références à sa jeunesse. C’est une amie morlonaise habituée du lieu qui l’a emmenée là.

Jeu musical

S’il est plus jeune qu’elles, Gaëtan Mabillard associe aussi le vinyle à des souvenirs d’enfance.

Venu de Lausanne avec un groupe d’amis, ce jeune homme lorgne vers des références comme Genesis, Brel ou Cabrel, qu’écoutait son papa.

Chacun y va de ses références. «Je cherche California Dreamin’. C’est la chanson que j’écoute quand je traverse le Golden Gate», partage Emilia Pasquier.

De passage en Suisse, cette Gruérienne émigrée à San Fransisco s’est retrouvée là grâce à sa sœur, établie à Morlon.

Pour pimenter l’événement, un jeu met en concurrence les différentes tablées, dont les représentants se relaient derrière les platines. Les participants sont invités à partager leurs coups de cœur. Des points sont ainsi distribués aux équipes sous forme de coches inscrites sur la vitre d’un jukebox trônant au milieu de la salle.

«J’ai la poisse, on va perdre des points comme ça», plaisante une concurrente, au moment où la platine saute sur la reprise de Killing Me Softly with His Song par les Fugees. «Ce soir, c’est serré», commente Maeva Righini, de Préverenges (VD), venue pour la seconde fois avec un groupe d’amis, après avoir remporté le jeu un autre soir. La recette du succès: miser sur des valeurs sûres, comme Africa de l’artiste Toto ou In the Air tonight de Phil Collins, confiera-t-elle.

Ce qui n’empêche pas les transitions surprenantes: comme cet Aigle Noir de Barbara atterrissant entre du rap et de la pop. Car il y a en a pour tous les goûts: des très actuelles Adele ou Lana Del Rey aux valses de Chopin, en passant par le rap français ou la techno des années nonante. Une diversité qui force à assumer ses choix.

«On vit dans un monde tellement digitalisé qu’aujourd’hui, tu choisis ta première chanson mais ce sont les algorithmes qui choisissent les suivantes. Ce n’est pas le cas avec le vinyle», remarque Flurin Mathieu.

Christophe Monney, du magasin Framotec, qui a mis l’installation Hi-fi à disposition, constate d’ailleurs un engouement croissant pour le son reproduit de manière analogique: «Il y a quinze ou vingt ans, la Hi-fi était réservée à une élite de 50 ans et plus. Depuis une dizaine d’années, on voit apparaître une clientèle dès 30 ans, qui veut autre chose que des systèmes Bluetooth (au son souvent compressé, ndlr).»

Avec des tapas

Tandis que les morceaux s’enchaînent, le chef Corentin Theurillat régale les mélomanes en tataki à la courge Butternut, en risotto aux bolets avec une émulsion à l’ail noir, et en autres bouchées. «J’aime bien l’idée de venir pour la musique avec la cuisine en accompagnement, plutôt que d’avoir la musique en bruit de fond», relève à sa table Marie Rickli. «Et en plus, on mange super bien.»

L’auberge Goya Onda réitérera l’expérience les 8-9, 15-16 et 22-23 février prochain.

Inscriptions au 078 219 15 60

«Il y a quinze ou vingt ans, la Hi-fi était réservée à une élite» Christophe Monney