Corserey Mais que n’a-t-il pas fait? La question nous hante au fur et à mesure que l’entretien évolue. On finit par craquer et la lui poser. De nouveaux horizons s’ouvrent en guise de réponses. Une petite quarantaine, même de cinq jours, ne suffirait pas à tous les explorer. Le monde de Bertrand Chatagny est donc plus que vaste, même si le principal intéressé, modeste, estime le contraire.

De boxeur dans sa jeunesse, il est devenu imprimeur avant d’endosser le rôle de boursier dans son cher village de Corserey, puis de banquier à quelques encablures de là, à Lentigny. Et postier à temps partiel, aussi, avec son épouse Eliane. Tout cela entre deux courses d’orientation, quarante Morat-Fribourg et huit Sierre-Zinal… Aujourd’hui retraité, il se plaît à lire et à philosopher, quand il ne joue pas aux échecs. Un mot qui finalement ne lui va pas du tout, lui qui connaît le succès, celui de posséder un monde intérieur aussi riche…

Bertrand, vous étiez boxeur dans une autre vie. Comment cela s’est-il passé?

Mon père me parlait parfois de Marcel Cerdan (boxeur français, ndlr). Il était d’ailleurs sportif et était allé à vélo jusqu’à Paris, ce qui était assez unique en ce temps-là car le sport n’était alors pas valorisé. A 14 ans, j’ai vu Cassius Clay (Mohammed Ali) à la télévision, c’était un poids lourd qui dansait comme un poids léger autour de son adversaire, sans prendre de coups. C’était magnifique! A 16 ans, je me suis pointé sans aucune prétention à l’école de boxe de Fribourg, elle se trouvait à l’école des Neigles. J’ai rapidement été remarqué pour mon sens de l’esquive et mes déplacements sur le ring. Je me souviens que tout jeune, je tournais autour d’un sac de foin que j’avais pendu à l’avant-toit de notre grange.

Pour quelles raisons n’avez-vous pas continué dans cette voie prometteuse?

En 1968, j’ai été choisi pour faire partie d’une sélection nationale pour aller boxer en France. Après six combats gagnés facilement chez les juniors, je me suis retrouvé à boxer directement chez les élites. Une grave erreur! J’ai compris, à cette occasion, qu’il faut un instinct de guerrier pour survivre, et je ne l’avais pas assez, cela ne fait pas partie de mon caractère! J’étais un super technicien car j’aimais l’entraînement. La boxe, pour moi, c’était l’escrime du poing, pas une bagarre de chiffonniers! Donc, j’ai arrêté et j’ai bien fait!

Qu’est-ce que cette pratique vous a appris?

A ne pas me laisser faire! J’ai, toute ma vie, dû lutter contre ma bonté. J’ai vécu une enfance heureuse. J’étais le petit dernier, aimé de tous et surtout par mes deux sœurs qui ont été des super nounous pour moi. Ne pas avoir connu de frustrations est peut-être parfois un inconvénient, on n’est pas assez endurci pour la suite.

Vous êtes ensuite devenu imprimeur, avant de travailler comme boursier communal et banquier.

Ces postes se sont présentés par hasard, mais cela m’a plu car c’était très varié. Les choses se sont faites naturellement. Je pense que les gens me font confiance instinctivement et j’espère ne jamais avoir trahi leur confiance.

Vous avez notamment été postier à temps partiel à Corserey. Ce n’était pas banal pour l’époque, non? Tout comme le fait d’exercer plusieurs métiers…

Mon père était postier à Corserey. C’était alors l’usage, pour les enfants, de reprendre la fonction dans les villages. Mon épouse Eliane, qui était enseignante spécialisée, a repris la poste un peu par défaut et à temps partiel. J’ai fait de même afin de participer à l’éducation de nos enfants et de seconder mon épouse. D’ailleurs, lorsque je cherchais un autre travail à temps partiel pour compléter la poste, il est arrivé qu’on me demande si j’étais flemmard ou handicapé. J’ai tout entendu! J’ai été chauffeur de taxi, travaillé dans les forêts également, pendant que je suivais une école de comptabilité. Puis le poste de boursier communal s’est libéré, et j’ai été engagé. J’ai également travaillé pour la Banque Raiffeisen de Lentigny. De fusions en fusions des succursales, je suis passé de gérant à directeur pour terminer fondé de pouvoir. J’ai pris ma retraite il y a dix ans. Les choses ont beaucoup évolué en près de trente ans! Je me rappelle qu’à Lentigny, je travaillais dans une petite chambre située dans l’école. Toute la comptabilité était manuelle. J’ai même connu un hold-up. J’étais dos au mur, avec le coffre derrière moi.

Il y a un besoin chez vous d’être toujours occupé?

Je ne suis pas hyperactif, je suis plutôt une personne sociable qui aime le contact et rendre service selon ses possibilités. De nombreuses personnes et amis m’ont sollicité pour prendre des responsabilités dans des clubs sportifs et pour la communauté, et j’ai toujours accepté.

Vous êtes aussi sportif et féru de courses d’orientation…

J’ai couru quarante fois Morat-Fribourg. Mais je suis moins sportif aujourd’hui, c’est ma nouvelle philosophie. Nous faisons beaucoup de course d’orientation avec mon épouse. Elle a d’ailleurs fait des podiums, dans sa catégorie, aux championnats suisses. Contrairement aux idées reçues, elle est donc meilleure que moi en orientation. Moi, j’en fais plutôt en dilettante, pour le contact humain et voir du pays.

Avez-vous un regret?

J’aurais voulu être un artiste, comme les paroles de la célèbre chanson. Lorsque j’étais jeune, j’aimais faire mon show, en chantant notamment. Je me souviens d’une soirée durant laquelle j’avais chanté et qui m’avait valu des tonnerres d’applaudissements. Si j’étais jeune aujourd’hui, je pense que je tenterais les castings pour des émissions de télévision. Je suis arrivé trop tard (il rit)! Dans un autre registre, j’avais obtenu, à 20 ans, un visa pour l’Australie. Nous voulions partir y travailler avec des copains. Mais je n’y suis jamais allé. Ma mère a réussi à m’en dissuader. C’est aussi un petit regret. Tout comme de ne pas avoir fait des études, alors que l’instituteur de mon village insistait pour cela. Je manquais alors de motivation. J’aurais sans doute étudié la philosophie et la musique!

Vous êtes toujours aussi calme ou existe-t-il quelque chose qui vous énerve?

J’ai une aversion pour les inégalités de traitement et les injustices. Comme l’application totalement différente d’une même loi pour deux cas similaires, par exemple.