Estavayer-le-Lac Pas facile de lire une histoire face à un auditoire. Zoé Vodoz (11 ans) et les dix finalistes de la Lecture Académie peuvent en dire quelque chose. Il faut parler lentement, poser sa voix, articuler les mots sans oublier les intonations, les liaisons. Et, parfois, surmonter ce trac qui provoque de légers tremblements. Lors de la finale du concours, samedi matin au Sacré-Cœur d’Estavayer-le-Lac, Zoé Vodoz y est parvenue, comme ses camarades, au terme d’une longue préparation.

Le texte qu’elle avait choisi a fait la différence. La société des pépés à adopter, un roman pour la jeunesse d’Emilie Chazerand, raconte l’histoire d’une petite fille riche mais esseulée, qui s’amuse soudain avec un grand-père farceur. Dentier dans le café, chaises raccourcies à la scie, défi de «croquer dans une plaque de beurre pour voir ce que ça fait» et autres bêtises. «Ce livre m’a fait rire. C’est ma grand-mère qui me l’avait offert pour Noël et je voulais le partager», explique la lauréate, qui habite Les Paccots. Un rire communicatif qui a gagné le jury et l’auditoire fort d’une cinquantaine de personnes.

D’autres finalistes étaient proches de l’emporter, tels Timothée Walser, de Courtion, seul garçon de la sélection, ou Yseult Spicher, de Villars-sur Glâne. Marion Asper (10 ans) avait choisi un extrait d’Harry Potter et l’Ordre du Phénix: «Il y a un peu de tout, de l’amitié, du suspense, des frissons.» Le Journal d’un chat assassin, d’Anne Fine (l’histoire drolatique d’un félin dont les maîtres n’apprécient pas qu’il fasse son travail de chat), sur lequel Julie Meyer avait jeté son dévolu, s’est révélé délicieux.

«Ces lectures m’ont donné envie de me plonger dans ces bouquins et de bouquiner tout court», avouait le préfet de la Broye, Nicolas Kilchoer, membre du jury, au moment de délibérer. L’important, pour la Lecture Académie, n’était pas tant de désigner des lauréats que de célébrer la lecture.

«Pas assez valorisé»

Lire à voix haute, c’est renouer avec les origines de la littérature, des œuvres orales de l’Antiquité au «gueuloir» de Gustave Flaubert, c’est surtout transmettre des émotions. Anne-Marie Geinoz, membre du jury de cette finale, trouve «fabuleux de pouvoir offrir une telle scène à la lecture. Le livre n’est pas assez valorisé parmi les loisirs des enfants», observe la spécialiste, qui enseigne la littérature de jeunesse à la Haute Ecole pédagogique. «Les enseignants essaient d’éveiller le plaisir de la lecture, mais notre défaut est de mettre tout de suite l’accent sur la compréhension et les questionnaires. L’essentiel est d’apprécier un texte et le partager.»

Cette sixième édition de la Lecture Académie, lancée par l’Association des bibliothèques fribourgeoises (BiblioFR), a vu la participation de 70 élèves de trois classes primaires pour les différentes sélections. «Le niveau est monté depuis deux ans», constate la comédienne Anne Schwaller. Rien d’élitiste pourtant dans ce concours, répète Claire-Lise Progin, l’une de ses fondatrices: «Les bons élèves lisent souvent bien, mais trop vite. Travailler un texte est à la portée de tous les enfants. Certains élèves dyslexiques ont d’ailleurs participé à la Lecture Académie», explique la bibliothécaire de Farvagny.

Bruyantes bibliothèques

Inspirée d’une expérience française, la Lecture Académie pourrait dépasser les barrières cantonales ces prochaines années. «Le Valais réfléchit à organiser quelque chose de similaire. Le rêve serait d’avoir un jour une finale romande», lance Anne Dagon, bibliothécaire à Marly et coorganisatrice. La Lecture Académie accompagne également l’évolution des bibliothèques scolaires: «Ce n’est plus le lieu où l’on stocke des livres et où l’on doit faire silence. La bibliothèque d’aujourd’hui est un endroit ouvert à plein d’échanges et d’activités», explique Anne Dagon. «La lecture à voix haute est le meilleur apprentissage possible, pour celui qui lit comme pour ceux qui écoutent. Pour un élève allophone, le meilleur conseil à donner est d’ailleurs de lire à voix haute.»

Auteure de livres pour la jeunesse, dont Marie et la sorcière de la Sarine, Nathalie Jensen se dit interpellée par le fait qu’un seul garçon a été sélectionné pour la finale. «Il n’y a pas que les filles qui lisent, pourtant!» Membre du jury, elle s’étonne également de la prédominance des choix anglo-saxons parmi les lectures des enfants. «Et ne parlons pas des auteurs romands… En fait il manque d’auteurs romands pour la littérature jeunesse. Je donne donc ce conseil aux adultes: écrivez!»