Travail  Sur les réseaux sociaux, ils sont nombreux à distiller ce conseil: renoncez à faire venir votre femme de ménage à la maison en ces temps de confinement, mais soyez généreux et continuez à la payer! De la générosité, vraiment? «En réalité, c’est une obligation légale», avertit l’ancien conseiller national Jean Christophe Schwaab (ps, VD), expert en droit du travail. «C’est l’application générale du droit du travail. Lors­qu’un employeur demande à un travailleur de ne pas venir, il doit le payer comme s’il était venu. Le risque de pandémie, c’est l’employeur qui doit l’assumer.»

Cet avis est confirmé par le Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO): si un particulier demande à sa femme de ménage de ne plus venir travailler, «l’employeur est tenu de verser le salaire», indique la porte-parole Nadine Mathys. A noter que cette même règle s’applique à d’autres situations d’employés domestiques, comme les mamans de jour ou les jardiniers. Elle s’applique également aux personnes qui n’effectuent pas un nombre d’heures hebdomadaires ou mensuelles fixes. Pour celles-ci, le salaire doit être calculé sur la moyenne des derniers mois.

Il n’y a pas d’interdiction

Mais faut-il vraiment renoncer à faire venir sa femme de ménage? «Il n’y a pas de recommandations spécifiques à leur sujet», répond Yann Hulmann, porte-parole de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP). Cela signifie concrètement que, moyennant le respect des règles d’hygiène (gants, lavage des mains, distance sociale), elles peuvent continuer à travailler, pour autant qu’elles n’aient pas de symptômes de la maladie et qu’elles n’appartiennent pas à un groupe à risque.

Si les règles paraissent simples, dans la pratique, la situation est bien plus complexe. Cofondateur de Batmaid, plateforme de réservation de services de nettoyage à domicile, Andreas Schollin-Borg témoigne: «Depuis le début de cette crise sanitaire, nous sommes assaillis de questions. Nous recevons plus de 1000 appels et mails par jour, tant d’employeurs que de femmes ou d’hommes de ménage.»

Il constate deux effets principaux: «Une majorité d’employeurs annulent les nettoyages, parce qu’ils ont peur d’avoir une personne étrangère au cercle familial qui entre dans leur maison. A l’inverse, il y en a d’autres qui ont augmenté leurs nombres d’heures de ménage pour des raisons d’hygiène face au virus.» Mais dans l’ensemble, la chute est brutale pour Batmaid qui doit faire face à une fréquentation de ses services réduite de moitié et qui a dû mettre une bonne partie de son personnel administratif au chômage partiel.

«ça me fait mal au cœur»

«Il y a des situations qui font mal au cœur», reconnaît Andreas Schollin-Borg, qui a été lui-même contraint de venir renforcer son équipe de téléphonistes. «Certaines femmes de ménage ont peur d’aller travailler, mais si elles y renoncent, elles n’ont plus de revenus.»

Du point de vue juridique, la situation est en effet toute différente si c’est la femme de ménage qui renonce d’elle-même à ses activités. Si c’est par peur de contracter le virus, mais qu’elle ne fait pas partie des groupes à risque, elle ne peut pas prétendre à un salaire. S’il s’agit d’une personne vulnérable, il incombe à son employeur de garantir que les mesures d’hygiène et de distance sociale soient respectées et, si ça ne peut pas être le cas, il doit continuer à la payer, sans la faire venir travailler. Si elle est malade, que ce soit en raison du coronavirus ou pour toute autre maladie, l’employeur doit la rémunérer même si elle ne peut pas venir faire son ménage, une règle souvent méconnue d’ailleurs. Et si c’est l’employeur qui est malade et que son ménage ne peut donc pas être effectué, il doit aussi la rémunérer.

Un autre cas de figure est celui de la femme de ménage qui ne peut pas travailler, parce qu’elle doit assurer la garde de ses enfants, privés d’école ou de crèche. «S’il n’y a pas d’autre possibilité que quelqu’un s’occupe des enfants, cette personne a droit aux allocations pour pertes de gains (APG-Corona)», précise Harald Sohns, porte-parole de l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS). Celles-ci se montent à 80% de son salaire. Pour cela, il faut évidemment que la femme de ménage soit déclarée aux assurances sociales.

Près de 80% au noir

Or malgré les facilités administratives introduites aujourd’hui, comme le Chèque-Emploi, il y a encore près de 80% de travail au noir dans ce domaine en Suisse, semble-t-il. Légalement, même si elle est au noir, une femme de ménage doit continuer à être payée par son employeur qui ne souhaite plus qu’elle vienne chez lui. Mais il est souvent bien difficile pour elle de le revendiquer.

D’ailleurs d’une manière générale, la situation des femmes de ménage est bien précaire en ces temps de crise sanitaire. «Le problème, c’est que beaucoup n’osent pas revendiquer leurs droits et leur salaire, de peur de déranger des personnes qu’elles connaissent depuis longtemps ou de peur de se faire virer, explique Jean Christophe Schwaab. Et ce n’est pas que les employeurs sont malhonnêtes, mais beaucoup ne connaissent tout simplement pas ces règles.»

Les femmes de ménage peuvent-elles espérer une aide supplémentaire de la Confédération? Ce n’est pas exclu. Elle y songe en tout cas. Hier encore, en conférence de presse, le ministre de l’Economie Guy Parmelin a rappelé que «le Conseil fédéral est conscient qu’actuellement de nombreuses personnes qui sont indirectement touchées par les mesures de restriction des activités économiques tombent entre les mailles du filet». Le Vaudois a précisé que le Conseil fédéral avait chargé son département «d’étudier la possibilité d’étendre le chômage partiel à certaines catégories de travailleurs encore non couverts, notamment le travail sur appel et les aides à domicile».