Santé

 

Une pincée de gluconate de chlorhexidine et une rasade d’isopropanol. Certes, la recette n’est pas très appétissante. Mais elle a sauvé des millions de vies à travers le monde. Et c’est à Fribourg que le pharmacien William Griffiths, qui a vécu à Guin et travaillé à ­l’Hôpital cantonal entre 1973 et 1979, l’invente. Né en 1940 en Grande-Bretagne – «mon père était docker à Liverpool», précise-t-il –, l’expatrié aujourd’hui établi à Anières, dans le canton de Genève, est à l’origine d’une véritable révolution.

Indispensable pour la bonne hygiène des mains du personnel soignant, sa solution hydroalcoolique est aujourd’hui utilisée dans 179 des 193 pays membres de l’Organisation des Nations Unies (ONU). Et a remplacé le simple savon dans près de 20 000 hôpitaux sur la planète. «Bien sûr, cela faisait longtemps qu’il était connu que l’alcool avait un pouvoir désinfectant. Mais c’était aussi très irritant pour les mains, surtout si vous l’utilisez dix fois par jour. Il a fallu trouver la bonne formule», analyse Christian Chuard, spécialiste en infectiologie à l’Hôpital fribourgeois.

Pas un centime gagné

Plusieurs années sont nécessaires pour trouver le mélange idéal. «J’ai élaboré une cinquantaine de formules avant de parvenir à la bonne», se souvient William Griffiths, rencontré dans son appartement à deux cents mètres du Léman, le long de la frontière française. Pourtant, le chercheur britannique ne gagne pas un centime grâce à sa création. L’Hôpital cantonal non plus. «Déposer un brevet aurait coûté plus de 100 000 francs, c’était trop cher», relate-t-il. «Peut-être que l’hôpital aurait pu le faire. Mais ce n’est pas là sa mission première», renchérit Christian Chuard.

La recette est en revanche transmise à d’autres établissements, dont les Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) où William Griffiths travaille dès la fin des années septante. Là-bas, avec l’aide notamment de l’épidémiologiste Didier Pittet, il développe et diffuse son invention. «Ma solution était fabriquée directement par la pharmacie des HUG. Les quantités produites sont devenues de plus en plus importantes et bientôt nous n’avions plus les moyens, en matériel et en personnel, pour continuer. Dès lors, une maison pharmaceutique a repris la production pour nous», raconte le septuagénaire.

Petit à petit, le produit miracle fait son chemin, d’abord en Suisse, puis dans le monde entier grâce à l’Organisation mondiale de la santé à qui la formule est cédée gratuitement. Depuis 2009, l’institution onusienne, dont le siège se trouve près de Genève, met d’ailleurs en place une campagne mondiale pour améliorer l’hygiène des mains lors des soins de santé.

Un travail d’équipe

Mais cela n’a pas forcément été facile. Aux Etats-Unis par exemple, le caractère hautement inflammable du désinfectant représente d’abord un obstacle. «Un règlement stipulait qu’il était interdit de stocker une grande quantité d’alcool dans un local», note Christian Chuard. Problème également dans les pays musulmans. «Il a fallu que des autorités religieuses édictent des avis indiquant que cela ne contrevenait pas aux règles de l’islam car l’alcool n’est pas absorbé par la peau», ajoute le spécialiste en infectiologie.

Deux mille morts par an

Pourtant, l’enjeu est essentiel. Aujourd’hui encore, selon l’Office fédéral de la santé publique, 70 000 personnes sont touchées chaque année en Suisse par une infection nosocomiale, c’est-à-dire contractée au cours d’une hospitalisation. Et 2000 en meurent. «Nous avons tous des micro-organismes sur les mains. Nous ne pourrions d’ailleurs pas vivre sans. Mais dans un hôpital, les soignants peuvent transporter des bactéries plus dangereuses qu’une caissière, car plus résistantes aux antibiotiques, par exemple. Et ils peuvent les transmettre à des patients vulnérables», explique Christian Chuard.

Le médecin fribourgeois ajoute: «La peau est une barrière très efficace contre les microbes. Mais si vous y faites un trou, c’est différent. Et à l’hôpital, nous faisons beaucoup de trous.» Une plaie opératoire ou la pose d’un cathéter peuvent donc devenir une réelle menace si les mains du personnel soignant ne sont pas désinfectées. «Je sais que nous avons fait quelque chose de formidable pour l’humanité», souffle William Griffiths, qui met surtout en avant un travail d’équipe accompli par de nombreuses personnes en l’espace de plusieurs décennies.