Glâne L En visitant des églises, on avait parfois jeté un regard dédaigneux aux vitraux d’une blancheur bien décevante, se disant que c’était sûrement du verre de remplacement en attendant mieux. Ou un manque tangible d’argent de la paroisse. Car un vitrail est, dans notre imaginaire, un kaléidoscope capturé par une fenêtre. On s’était alors lourdement planté en pensant que les coloris étaient l’essence de l’art verrier et la nouvelle exposition du Vitromusée Romont, le montre bien. Baptisée La redécouverte de la couleur, cet accrochage raconte comment les artistes et les artisans dès le XIXe siècle ont voulu remettre du jaune, du bleu, du vert ou du rouge dans leurs créations.

Grenade pour modèle

Si au Moyen Age des vitrages polychromes illuminaient bien les lieux sacrés, à l’époque baroque, les vitraux ont souvent affiché une sobriété immaculée afin de baigner d’une lumière blanche les statuaires arrangés dans des mises en scène fort théâtrales. Puis l’intérêt pour toute la gamme de l’arc-en-ciel est revenu, dans diverses disciplines. Grâce à Newton (1643-1727) les couleurs ont ainsi mis un pied dans la science. Elles sont devenues sujet théorique, questionnement technique. Dans les vitrines du musée, on peut voir les ouvrages de Moses Harris, de Chevreul, de Goethe, bref tous ces traités qui parlent des couleurs primaires et de leurs nuances.

Avec cette envie polychromique, il s’est agi de retrouver le savoir-faire oublié depuis le XVIIIe siècle (le musée met l’accent sur le verre coloré dans la masse). Des écrits théoriques existaient bien, mais sans préciser les proportions; il a donc fallu réapprendre et surtout expérimenter. Des verreries industrielles s’y mettent, comme des petits artisans. Les échantillons de leurs essais, tels des palettes de lumière, sont exposés. Magnifique.

C’est du côté de l’Orient que les artistes puiseront aussi leur inspiration, notamment dans la mythique Alhambra, qui servira de modèle aux constructions néomauresques et orientalisantes en Europe. Les dessins d’Owen Jones et de Jules Goury, réalisés dans le complexe palatial de Grenade, ont ainsi nourri de nombreuses créations, comme les autres idées empruntées par les voyageurs en Afrique du Nord. On retrouvera ces motifs géométriques, ces couleurs intenses jusque dans le Kiosque mauresque du Linderhof, en Bavière, ou dans le château Oberhofen au bord du lac de Thoune.

Le verre opaque

Le Nouveau-Monde a aussi apporté son innovation de poids: l’opalescence, soit une opacité dans le vitrail évoquant la porcelaine. Ce sont les Américains La Farge et Tiffany qui l’ont mise au point dans leur atelier dans les années 1870. Pour arriver à cet effet particulier, plusieurs couches de verre sont apposées à l’arrière de l’œuvre – une technique facilement observable à Romont grâce à l’ingénieux accrochage. L’insertion de cabochons, des pierres taillées conférant un relief étonnant, enrichit encore la matière. L’œuvre du Bernois Jakob Adolf Holzer, qui a travaillé avec La Farge et Tiffany, est particulièrement intéressante. Sa Sainte Cécile est un petit bijou. Le rendu de l’eau, troublé par le reflet de la végétation, dévoile sa maîtrise de ce verre opalescent. Le visiteur y percevra la profondeur des flots. Magnifique. Juste à côté, la Salomé de Jacques Galland dégage la même splendeur. Sa robe sertie de pierres est fascinante.

La couleur dans l’art verrier a aussi été une préoccupation du Bauhaus, une matière dont Itten puis Klee ont assuré l’enseignement dans le cadre des cours préparatoires de l’école. Une petite pépite de ce dernier est d’ailleurs exposée à Romont. Si en 1933, l’école a fermé, ces réflexions ont continué d’essaimer dans le monde.

L’exposition se termine sur le groupe de Saint-Luc, créé en 1919 à Genève, par Cingria et Poncet, afin de renouveler l’art sacré en Suisse romande. Le travail du Fribourgeois Jean-Edouard de Castella pour l’église Saint-Pierre, à Fribourg, souligne le triomphe de la couleur. Et notamment ses cartons, soit des peintures à l’échelle 1:1 des futurs vitraux.

A noter encore qu’en parallèle à La redécouverte de la couleur, l’institution glânoise a renouvelé son exposition permanente pour souligner l’importance de Romont et de sa région dans les arts du verre. De plus, le Vitromusée appartient désormais à l’Association des châteaux suisses. Il devrait gagner en visibilité au niveau national grâce à cette adhésion. 

A voir jusqu’au 28 février au Vitromusée Romont. De nombreuses activités prévues. www.vitromusee.ch