Belfaux  Il ouvre la porte de sa maison, blottie dans un coquet jardin, aux abords du passage à niveau. Sa haute stature et son regard gris-bleu direct et franc, comme sa poigne, happe le visiteur. Une prestance presque intimidante qui con­traste avec sa modestie et son calme chaleureux. Cet homme, c’est Raymond Bertschy, 83 ans, dont septante consacrés à la musique. Le Belfagien, retraité de Swisscom, est entré dans la société de musique La Lyre de Belfaux en 1947, et ne l’a plus quittée. Il est l’un des rares musiciens – ils seraient dix-sept en Suisse dont trois Fribourgeois cette année – à avoir obtenu le diplôme fédéral pour 70 ans de musique.

Plus qu’une passion, la musique est une évidence, elle habite ses doigts, ses lèvres. Elle est littéralement sa première «inspiration» puisque le 1er août 1934, lorsqu’il voit le jour au deuxième étage de l’école de Belfaux, avant les feux d’artifice, ce sont les échos de la fanfare répétant dans la salle au-dessous qui l’enveloppent: «J’ai baigné dedans, je suis tombé dans la marmite!», sourit-il.

Une affaire de famille

La musique est une affaire de famille chez les Bertschy: Raymond joue durant 32 ans sous la direction de son père, Joseph, qui restera 52 ans (!) à la baguette de La Lyre. Ce dernier cumule les casquettes, étant aussi organiste et directeur du chœur. Puis Raymond joue onze ans sous la direction de son frère, Hubert, qui, comme son autre frère Charles, joue 40 ans à la Concordia.

Raymond a transmis à son tour la flamme musicale à son fils Jérôme, 55 ans (dont 40 de musique et 18 au comité de La Lyre), et à son petit-fils Cyril, 26 ans et dans la fanfare depuis 15 ans. Raymond Bertschy est aussi un amoureux du chant, qu’il a pratiqué durant 40 ans au Chœur mixte de Belfaux. Il y a d’ailleurs rencontré sa femme Marthe, 85 ans, choriste depuis plus de 50 ans.

Avant de s’essayer à un instrument, Raymond se fait d’abord l’oreille. Balais en main, dès 8 ans, il prépare la salle communale avec ses frères. Avant d’entrer dans La Lyre en 1947, dirigée alors par son père. Ce dernier l’encourage à choisir le tambour avec un jeune de son âge – car il n’y en avait plus dans la fanfare. Il en joue deux ans, avant de se mettre au saxophone baryton sans chichi – «il manquait un sax, je me suis proposé et un copain m’a appris sur le tas». Puis au sax soprano car «un autre avait besoin du baryton». Enfin, ces instruments sont remplacés par des clarinettes métalliques, «aujourd’hui disparues, mais à l’époque seules autorisées pour la fanfare, celles en bois étant réservées aux harmonies». Dès 1973, il obtient ainsi une clarinette bois, «toujours la même à ce jour». Il en apprécie «le son plus doux, même si elle requiert plus de dextérité qu’un sax, les trous exigeant de positionner parfaitement les doigts».

Une 33e fête régionale

Celui qui «ne manque jamais une répétition» s’entraîne tous les jours environ une heure et demie avant les concerts, puis relâche un peu la pression. Il prépare actuellement le 30e Giron des musiques de la Sarine qui aura lieu à Estavayer-le-Gibloux du 25 au 28 mai. «Ce sera ma trente-troisième fête régionale! Ma première était celle de 1948 à Farvagny», relève l’octogénaire avec un enthousiasme toujours neuf. Il compte aussi à son actif quatorze fêtes cantonales et deux fédérales, dont il conserve tous les librettos.

S’il semble survoler les partitions avec aisance, Raymond Bertschy confie cependant éprouver quelques appréhensions en début d’année, à l’heure de prendre connaissance des nouveaux morceaux. «Avant, les écoles de musique n’existaient pas, on apprenait sur le tas! Désormais, la flûte ou la clarinette s’apprennent au conservatoire. Et ceux qui écrivent la musique sont de plus en plus exigeants, les partitions de plus en plus complexes. Ils poussent toujours plus loin, en vue des con­cours notamment», expose-t-il.

Toutes les générations

Mais pas de quoi faire perdre à la «3e clarinette» son plaisir de jouer au sein de la sympathique trentaine de musiciens de La Lyre, parmi lesquels il compte de «nombreux copains». «Si je fais partie de la société, c’est surtout pour l’ambiance, le plaisir de partager un verre après, nouer des amitiés. C’est d’autant plus important à partir d’un certain âge», relève le doyen. «Seul Jean-Marie Barras, responsable des vétérans de la fanfare de Belfaux, fêtera ses septante ans de musique l’an prochain. Après, il y a un vide: Un seul membre a soixante ans, trois autres ont démissionné», note-t-il.

Cela ne le dérange-t-il pas? Au contraire, répond-il sans hésiter: «La relève, c’est motivant! Derrière moi d’ailleurs, j’ai un jeune d’une douzaine d’années. C’est précisément ce mélange de générations qui est sympa.»

Quant à savoir jusqu’à quand il compte poursuivre, il glisse dans un sourire: «Qui sait, je fêterai peut-être les huitante ans de musique!» Et d’ajouter, philosophe, «tant que ma mémoire ou mes doigts ne me feront pas défaut». Mais «pas question de se remettre au tambour», rigole-t-il, il en a «fait le tour». Pour sûr, sa passion reste immuable.