Santé  Le professeur de droit de la santé Dominique Sprumont (54 ans) est le nouveau président de la Commission cantonale d’éthique de la recherche impliquant des êtres humains. Elle traite les demandes d’essais cliniques et les projets de recherche du canton de Vaud (90% surtout du CHUV), mais aussi de Fribourg, de Neuchâtel et du Valais. Nommé par le ministre Pierre-Yves Maillard, le juriste fribourgeois fait le point sur cette discrète institution, au rôle capital.

A quoi sert cette commission?

D. Sprumont: Prendre un humain comme objet de recherche semble a priori en contradiction avec l’idée même de la dignité humaine. Les commissions d’éthique ont pour mission de protéger les personnes face à l’enthousiasme des chercheurs tout en garantissant la qualité de leurs projets. Les risques concernent l’intégrité corporelle, mais aussi la dignité, l’image, la protection des données des participants.

Vous parlez d’enthousiasme, mais il y a aussi la pression de l’industrie, non?

L’industrie, dans son rapport à l’éthique de la recherche, est orientée sur la rentabilité. Il y a un impact plutôt négatif sur les formulaires de consentement des participants. C’est un outil essentiel entre chercheurs et participants potentiels. Ces derniers doivent avoir des informations de base pour un consentement éclairé. Or, l’industrie a parfois tendance à considérer ces formulaires comme une simple décharge de responsabilité, pour éviter des procès. C’est vraiment préoccupant car cela dénature la raison d’être du consentement.

Vous traiterez 500 demandes par an. Les moyens ont-ils suivi?

Oui, la loi a professionnalisé les secrétariats, scientifiques et administratifs, de ces commissions. Celle que je présiderai compte presque sept postes entre le secrétariat et la présidence, et une vingtaine de membres. Ce n’est pas une assemblée de vieux sages avec de la poussière et des toiles d’araignée. Son fonctionnement est très vivant et organisé. Le déséquilibre est en amont. Certes, le CHUV et l’Université de Lausanne ont fait de gros efforts pour soutenir leurs chercheurs qui préparent des dossiers, mais avec un certain retard par rapport à d’autres hôpitaux universitaires. Pour parler vaudois, on serait déçu en bien si la dotation de ces structures de soutien était augmentée.

Le transhumanisme est-il une réalité chez nos chercheurs?

Le transhumanisme repose sur un groupe de personnes fascinées par l’apparente capacité des sciences de la vie de modifier notre futur. C’est un mouvement philosophico-politique qui, dans ses formes les plus extrêmes, renvoie aux dérives totalitaires du XXe siècle. Pour les chercheurs «sérieux», cela ne semble pas vraiment une branche de développement.

Votre commission doit-elle aussi faire de la vulgarisation?

Je veux aller vers les associations de patients, par exemple. Pour mieux expliquer ce qu’est l’éthique de la recherche, tout en restant critique. Tout progrès biotechnologique n’implique pas forcément un progrès humain. Mais il est essentiel de promouvoir la recherche comme moyen de développer des nouveaux traitements ou des mesures de prévention. Participer à la recherche équivaut au don de sang. Il s’agit d’un geste altruiste en faveur des futurs patients et des autres. Malheureusement, notamment pour des raisons historiques liées aux atrocités commises par les «chercheurs» nazis ou japonais, on rattache encore trop souvent la recherche à ces abominations, à des violations des droits humains.

Vous êtes pour l’initiative «Pour un parlement indépendant des caisses-maladie». Continuerez-vous à prendre de telles positions malgré votre fonction?

Je n’ai pas deux cerveaux. Donc, oui, je continuerai, peut-être avec un peu plus de réserve. La question des conflits d’intérêts est centrale dans le monde médical et dans celui du contrôle des coûts. Or, la Suisse a du retard en matière de transparence de son système politique. Cela nuit à l’élaboration de solutions.

Etes-vous croyant? Et aurait-ce une influence sur votre éthique et votre conception du droit?

C’est une question trop personnelle pour que j’y réponde. Et, bien évidemment, cela peut avoir une influence. D’une part, comme le disait Mgr Morerod, il faut oser aller au-delà de la dimension moralisatrice de la religion en abordant notre rapport au divin. D’autre part, je songe à une pensée de Confucius qui préconise de «rechercher l’harmonie malgré nos différences». Autrement dit nous sommes tous différents, donc tous égaux. Cela devrait amener à plus de modestie: avant de juger les autres, il faut se juger soi-même, être humble. Dans la réalité, le principe d’égalité est souvent bafoué. Sa défense exige ainsi d’agir concrètement au quotidien. J’y suis fondamentalement attaché.